lundi 12 août 2013

Song kol, nous avons touché l'Eternité.


Après un crochet d’une nuit par Bishkek nous entrons dans Koshkor après 3 bonnes heures de marchroutkas et notre première expérience de bouchons khirguizes à la sortie de Bishkek. Comme dans beaucoup de logis de la région, nos hôtes sont affairés à la fabrication de shyrdak, des tapis confectionnés à partir de la laine de mouton. 

Une bonne part du processus consiste à tasser la laine, ce à quoi sont occupés les habitants de la maison qui nous accueillent. Ils sont 4, à rouler la laine disposée en plusieurs couches dans une natte de roseau. Pour cela ils marchent dessus dans un premier temps puis, à genoux, compressent le rouleau à la main de façon répétée. Nous ne voyons pas la suite qu’un garçon de la maison nous explique alors avec moultes détails. Le soir de notre arrivée la responsable d’un des organismes communautaires d’accueil des touristes nous rend visite pour déterminer des modalités de notre treck à cheval. Nous optons pour une balade de 4 jours en partant de Kizart, village au nord du lac Songkol, pour atteindre le lac au soir du deuxième jour, après avoir passé un col à 3400 mètres, et continuer ensuite notre escapade autour de ce lac. Ils seront deux guides, 7 chevaux. Nous dormirons dans des yourtes. Le lendemain une voiture nous emmène à Kizart où nous sommes invités à déjeuner chez notre guide de 28 ans, Abbas. 
Abbas
Celui-ci nous accueille de loin et discute pendant le repas avec notre le chauffeur. Son cousin Zarkar nous rejoint à table sans un mot, il sera le deuxième guide.  
Après le repas chacun se voit attribué un cheval, sauf Jade qui monte avec Abbas. Un cheval porte les quelques sacs et suit, tiré par une corde, le cheval de Zarkar. Les présentations des chevaux sont brèves, très sommaires. On tire les rênes du côté où l’on veut tourner ou bien les deux pour arrêter la monture. Nous obtenons le nom des animaux de justesse et puis partons en file indienne dans la montagne en passant derrière la maison, pour 4 jours qui vont se révéler extraordinaires. Les chevaux ne sont pas très hauts et suivent docilement le rythme lent imprimé par Abbas. Louna et Maolann ne sont pas des plus rassurés surtout après que la monture de Phanie s’est emballée à la sortie d’une rivière projetant la cavalière au sol, heureusement sans mal ni peur. Phanie récupère la cheval de Zarkar et nous repartons, toujours au pas, tranquillement. Petit à petit chacun se fait à son animal et réciproquement. Les appréhension et retenue se désagrègent remplacées par un plaisir certain de nous trouver au milieu des montagnes balancés agréablement sur nos bêtes. Lors d’une pause près d’une rivière, après 2 heures de promenade, nous nous présentons mutuellement nos guides et nous, nice to meeting you  Phanie s’essaie au trot, bientôt imitée par le reste de la famille. Jade, qui partage inconfortablement la selle d’Abbas atterrit sur le cheval porteur des sacs. Après 5 heures nous atteignons deux yourtes perdues au pied d’un col au milieu de grandes prairies. 
La lumière est en mode crépusculaire, nos fessiers en légère indélicatesse, les commissures labiales en bordure des oreilles. Des troupeaux de chevaux, moutons et quelques vaches tondent l’herbe des pentes vertes. Zarkar, après avoir enlevé les selles des chevaux, file avec le sien rabattre les moutons vers leur enclos puis les vaches. Zarkar est un garçon-cheval. 
Zarkar, garçon-cheval.
Il est presque né sur un cheval, comme ces jeunes bergers de 8-10 ans collés sur leur monture. L’été il est guide assistant, l’hiver il est berger dans son village. Il a 20 ans, en paraît 15. Il parle peu, est toujours rigolard et semble communiquer avec toutes les bêtes. Il émet des sons distincts pour dire aux chevaux quoi faire et comment. Pour dire aux chevaux sauvages, taire les chiens, écarter les moutons il utilise d’autres onomatopées. Il nous impressionne car semble en communion totale avec l’environnement, avec la terre, avec les bêtes. Il se dégage de cette relation presque fusionnelle une puissance impressionnante.
Nous passons une super soirée dans les montagnes et une bonne nuit au chaud sous nos lourdes couettes dans la yourte partagée avec nos guides. 
 
Nous repartons le lendemain avec le soleil et quelques douleurs aux fesses. Nous gravissons un col sur des chemins étroits sinueux et pierreux pour passer de l’autre côté, celui du lac ; les angoisses de certaines liées à l’ascension sont vite dissipées. Le lac Song kol nous tend les bras et nous nous laissons glisser vers lui dans une douce descente le long d’un ruisseau. Nous trottons tous et Jade aussi s’y met en liberté complète sur son animal. 
C’est assez incroyable de voir comment si rapidement tous et chacun nous prenons confiance et l’envie d’aller partout et vite avec nos montures ne cesse de grandir. Nous pénétrons dans l’immensité de ces prairies qui entourent le lac qu’elles rejoignent en pentes douces, ourlées d'une dentelure rocheuse. 
La neige est encore visible sur les sommets, discrète, par petites flaques en sursis. Ces vertes étendues herbeuses (jailoos) regorgent d’animaux. C’est très impressionnant. On voit des chevaux partout en bandes, qui galopent dans tous les sens, jouent et se sautent 
dessus. 
 
S’y mêlent des troupeaux démesurés de moutons et chèvres avec lesquels les bergers dessinent à flanc de montagnes des formes continuellement mouvantes. Les vaches et ânes ne sont pas en reste, elles aussi en totale liberté. Les yacks se font plus rares. 
Toutes ces bêtes par centaines, mélangées, en liberté, qui viennent boire dans le lac donnent l’impression d’un jardin d’Eden ou de l’antichambre de l’arche de Noé. La vie dans les yourtes au rythme et à la mesure du temps vient compléter l’équation.  
L’homme prolonge l’animal qui prolonge la terre qui prolonge l’homme dans un cercle vertueux. Ici, un garçon sépare le lait en crème de lait et mixture à fromage en tournant un moulin à la main pendant près d’une heure, la lait étant versé dans une grande passoire avant tamisage et séparation. 
 
Tout est récupéré dans des récipients pas très propres. Là, des morceaux de viande sèchent sur la clôture de l’enclos des moutons à côté du linge et d’une peau de mouton fraîchement récupérée d’un mouton dont le corps scalpé est également exposé sur la clôture les muscles à l’air, les mouches faisant office de maillot de corps.
La nuit nous entendons le galop de chevaux ou vaches que nous ressentons au plus profond de nos corps, nos couches reposant directement sur le sol. L’odeur animale est partout, parfois elle imprègne tout parfaitement incrustée et se mêle aux émanations de la fermentation du lait de jument dans son tonneau de bois. 
 
L’intensité des jours passés dans cette immensité est totale et aucun sens n’est oublié. Loin d’une vie d’arriérés, la symbiose entre les hommes, les bêtes et l’environnement vient déposer une sorte d’intemporalité voire d’éternité sur les versants des prairies sans limites.  
Nous ressentons tous les cinq cette atmosphère magique qui réussit parfaitement à mettre une société extraordinairement vivante en dehors de notre système dont les règles financières et de fonctionnement nous sont imposées. Evidemment nous n’avons pas de marques dans cette société là et si l’immersion de 5 jours y a été fantastique la sortie de ce monde a aussi été assez naturelle. 
Mais quelle putain de bouffée d’air si grand.

Si le Kirghiztan a une âme c’est ici qu’elle se trouve, j’en suis certain. Jade a trouvé des copines au fond des yourtes, s’est trouvée une place de cuisinière assistante disparaissant des heures de notre vue, Louna a fait des bracelets brésiliens et appris à en faire. Voir Maolann assis dans l’herbe à contempler et être rejoint par nos deux guides, les voir tous les 3 posés, à ne rien dire ensemble...
 
Nous avons fini la dernière journée par tous faire du galop dans ces steppes sans fond, à fabriquer le vent dans nos crinières.
 
Orage de grêle le dernier soir. Diner à la bougie et là petit joyaux que la voix de Merim, copine de yourte de Jade, qui chante, belle comme un ange. 
 
Son père, surnommé par nous le tueur tant son visage magnifique est dur, se met lui aussi à entonner un air et sa voix nous pétrifie à son tour. La scène est courte mais nous sommes scotchés. En sortant de la yourte, la pluie a cessé, le ciel est rouge flamboyant, la lumière sublime.
Une voiture vient nous récupérer le lendemain, la pyélonéphrite de Phanie est presque anecdotique (merci quand même aux pharmacies des touristes suisses qui passaient par là et que j’ai un peu dévalisées).