lundi 1 juillet 2013

Téhéran, un si court instant

Pour rejoindre Téhéran, voyage en train, 1ère classe car il n’y avait plus d’autres places. Le tarif : 23 euros pour nous 5, il y a plus de 600 kilomètres. Les enfants jubilent de voir le thé, les petits gâteaux, le jus d'orange préparé pour chacun, les couchettes larges. Nous sommes contents de retrouver le chemin de fer et la langueur du voyage. Terres très sèches, montagnes arides, et toujours les moutons noirs en petits groupes avec un berger sous le soleil exactement. Dans mon compartiment  (pas de tirage au sort cette fois, je perds d'emblée) trois autres hommes dont un clérical. Très impressionnant, l’homme porte un turban blanc, une barbe courte, mesure tellement qu’il m’impressionne avec sa grande cape. Il est très sympathique même si aucun mot n’est échangé. A l’arrivée du train à Téhéran à 6 heures du matin, il m’attend avec ses acolytes sur la place de la gare pour me saluer. Discussion courte dans le couloir du train avec un jeune à qui je dis que je suis français. Il me répond qu’il sait et à la question de savoir comment il le sait il me répond « everybody knows »…Téhéran, ville immense de plus de 15 millions d’habitants. Nous ne prévoyons pas d’y rester, sauf le temps de demander le visa pour le Turkménistan et essayer de rencontrer les parents d'une copine iranienne. J’ai sa mère au téléphone pendant que nous visitons le Golestan palace (palais des fleurs) ancienne demeure des Shahs quasiment jusqu’à l’extinction de l’espèce à la révolution en 1979. Nous prenons rendez vous pour l’après midi dans le nord de la ville. Après un petit tour dans le palais, sympathique mais pas excessivement foudroyant, nous allons vers le bazar tout proche. Beaucoup de monde et un endroit où nous nous sentons bien. Jus de fruits frais (le melon, the best), pique nique dans un jardin puis tour dans le bazar. Deux étages, des gens partout mais on n’étouffe pas, nous somme toujours beaucoup regardés, famille de touristes comme on n’en voit manifestement pas souvent, et toujours autant de sourires bienveillants et de wellcome in Iran. 

Golestan Palace
Nous rejoignons ensuite la mère de notre amie. Elle nous reçoit dans une cafétaria. Elle est extrèmement touchante et nous raconte la révolution de 1979, voulue par beaucoup, le Shah étant un obscur despote, révolution récupérée par les religieux. Elle a été virée illico du ministère des affaires étrangères où elle travaillait. Avec son mari et ses deux filles elle s’est rendue en France, pour finalement rentrer au pays en laissant à sa sœur ses deux enfants d’une dizaine d’années. Le voile, les contraintes, l’envie de s’installer en France mais son mari, architecte, n’a pas voulu partir. Une vie cassée, la nostalgie, les regrets de n’être pas devenue française comme la plupart de ses amis. Une vie tapie, bridée et toujours une certaine peur au ventre. Extrèmement émouvante. Elle ne paraît pas terrifiée à l’idée que l’on reste dans ce pays pendant et après les élections, la situation est cadenassée par les autorités, les candidats sont déjà triés, le risque de protestations paraît minime. Elle espère qu’un changement arrivera un jour mais a peur que cela soit d’une grande violence et ne le souhaite pas. Elle paye le pot, nous indique une mosquée et un bazar à visiter un peu plus haut encore dans le nord de la ville et repart, après quelques étreintes éphémères, les yeux brillants. Cette vie tourmentée à fleur de peau est bouleversante.
Nous partons en bus pour rejoindre le pied de la montagne qui permet à Téhéran de n’être pas encore une fournaise. Discussion de Phanie dans le bus, côté femmes, avec une jeune iranienne qu a vécu 5 ans à Paris. Je discute côté hommes avec un jeune de Téhéran qui travaille au ministère de l’énergie et me laisse ses coordonnées pour le joindre en cas de problème en Iran. La mosquée est magnifique, couverte de céramiques d’un vert bleu et dorée par la lumière du soleil déclinant. Nous n’osons pas prendre de photos, c’est l’avertissement qui nous est revenu plusieurs fois aux oreilles. Si la moindre partie d’une photo comprend un bâtiment officiel (genre poste de police mais aussi gare ou tout immeuble  ou un personnage de l’Etat (disons pour simplifier un type en uniforme) vous êtes alors susceptible d’être interrogé. Alors pas de photo dans les lieux publics, juste des milliards d’images qui se bousculent agréablement dans nos têtes. Sur le côté de la mosquée le bazar, hyper mignon, plein d’odeurs d’herbes en tout genre, des ampoules allumées dans ce qui n’est encore pas la pénombre, des épices encore très odorantes. C’est très beau, des successions d’arches déroulent le plafond, nos pas nous mènent nulle part, tous nos sens sont en éveil, bienfaiteurs. Un thé dans un bel endroit comme nous en avons vus plusieurs depuis notre entrée en Iran, avec des banquettes couvertes de tapis, des fumeurs de chicha. Nous mangeons ensuite sur le terrasse d’un restaurant, en hauteur, au dessus d’un rond point où les voitures continuent de se faire des queues de poisson, les piétons du slalom, l’air est juste entre tiède et chaud. Retour en métro vers l’hôtel. A cette heure plus tardive il y a beaucoup moins de monde qu’en journée et plusieurs femmes sont assises du côté hommes sans que cela ne gêne personne. Car la religion d'état impose aussi la séparation des hommes et des femmes dans le bus ou le métro (pas dans les taxis collectifs...). La ségrégation dispose donc les femmes voilées à l'arrière des bus et des rames de métro, c'est terrifiant.
Programme pour demain administratif: demande du visa turkmène, signalement de notre présence  à l'ambassade de France, il parait que ça se fait, puis départ pour Kashan à 250 km plus au sud.
Golestan Palace

1979, révolution en Iran (photo archives prise à Yazd)
Khomeini prend le pouvoir (photo archives prise à Yazd)