dimanche 30 juin 2013

Tabriz, premiers pas

L’accueil dans l’hôtel n’est pas très chaleureux et on s'en veut d’avoir en continu cette petite pression. Nous sommes en Iran dont la seule notion dont on dispose est l’image renvoyée par tous les médias du monde, un pays d’extrémistes. Pourtant nous sommes venus ici car savons que la réalité du terrain n’est pas celle là mais c’est très difficile de se débarrasser du cliché qui colle à la peau du mot Iran. C’est la rue qui va faire le boulot. Les gens sont extraordinaires. Nous sommes regardés comme une attraction. Beaucoup de personnes viennent nous demander d’où nous venons et sourient en voyant les enfants. Plusieurs viennent nous souhaiter la bienvenue en Iran et  s’entretenir avec nous. Un étudiant en littérature française, accompagné d’un ami et de sa copine, nous dit à quel point il voudrait venir en France, à quel point les jeunes voudraient que la situation change ici mais ne savent pas comment faire (« ils nous bloquent »). Ils savent très bien l’image donnée de l’Iran à l’étranger. Désespéré aussi par le service militaire obligatoire de 18 à 20 ans (« ils nous prennent les 2 plus belles années de notre vie »). Nous faisons des photos et reprenons notre chemin vers la mosquée bleue. 

 L’intérieur est baigné des rayons du soleil et la lumière est magique. Nous y restons assez longtemps car nous y sommes bien, tous les 5. Rencontre avec un jeune ingénieur :il nous dit que 70% des jeunes ne croient pas en dieu et nous assure que dans 3 ans, "c’est un secret", il y a aura un printemps iranien. En sortant, nous croisons Mohammed, graphiste, avec qui nous discutons assez longtemps: nous finissons par aller diner avec lui chez sa soeur le soir même.
Le matin, nous avions eu beaucoup d’informations au point info touristes par Nasser. Il a vécu 10 ans en France et est enthousiaste. Il balaie nos craintes concernant les élection présidentielles du 14 juin en disant que le contexte n’est pas le même, que les touristes n’ont rien à craindre, que les iraniens ne sont pas des talibans. Il semble assez agacé de l’image que l’on renvoie de son pays et contribue un peu plus à notre apaisement interne déjà bien entamé par les rencontres multiples et visites du jour .  Il ajoute aussi, ce qui sera redit par d’autres (et contredit aussi), que Louna n’a pas besoin de foulard.
Visite du bazar couvert en deux fois. Des milliards de pistaches de tailles et variétés différentes, des odeurs incroyables et l’impression qu’il y a encore plus de trucs que dans les bazars turcs. Le batiment qui abrite le bazar est super beau, nous reviendrons regarder tout cela de près. Visite le sur lendemain, vendredi : C’est jour de prière et quasiment tout est fermé. Nous nous retrouvons genre Grosjean comme devant mais pas tout à fait car nous pouvons profiter du grand vide des allées pour mieux voir les puits de lumière tombés des toits aux arches multiples, en briques de petite taille. Nous pourrions nous perdre dans ce dédale  sans avoir peur du grosjean méchant loup.


Visite aussi d’un village (kandovan) à 15 km de Tabriz, genre Cappadoce miniature, qui ne laissera pas beaucoup de souvenirs ; quand on vient de Turquie on fait son craneur et on dit bof devant les pâles immitations de la Cappadoce encore bien gravée dans nos âmes misérables.

A 21 heures 30 Mohammed vient nous prendre en voiture à l’hôtel et nous nous rendons donc chez sa sœur. Nous arrivons dans un grand appartement, immense séjour recouvert de tapis, quelques fauteuils assez rococcos comme nous avons vus pas mal en vente dans Tabriz. La sœur de Mohammed, la soixantaine, son fils de 40 ans et sa femme, la femme de Mohammed nous accueillent comme si nous nous connaissions depuis 20 ans. Nous dinons à même le tapis moelleux sur une nappe en plastique fin à usage unique. Soupe de légumes et graines de barberries (rouges, sucrées, vendues en vrac avec les épices et fruits secs et incorporées fréquemment dans les plats iraniens) dont nous récupérons la recette, espèces de samosas puis pastèque, fraises, concombres (ici mangés comme fruits).  Les enfants se marrent avec les jumeaux de Mohammed de 9 ans et leur cousin du même âge. Super soirée où Phanie est invitée à enlever son foulard (ce que ne font pas les autres femmes). Nous buvons du thé à la cannelle. A minuit et demi Mohammed nous ramène à l’hôtel, après nous avoir offert un livre sur la ville de Tabriz. Nous sommes comblés la soirée a été heureuse à la fois pour nous et pour les enfants enchantés. Mohammed, qui voudrait tisser des liens entre tous les hommes, est assez ému. 

Le lendemain, thé dans d’anciens bains réaménagés, underground organisé autour d’une fontaine intérieure. En Iran, le thé est servi non sucré. Les gens prennent des morceaux de sucre entre les lèvres, jouent un peu avec puis boivent le thé qui vient se sucrer dans la bouche.
Un taxi nous emmène à la gare et au moment de le payer nous nous apercevons que ce n’est pas un taxi mais juste un mec qui nous rend service et refuse l’argent proposé….
Nous prenons le train de nuit jusqu’à Téhéran.

Frontière Arménie-Iran: le passage.


Lever matinal. Nous remplissons le coffre de la Lada, the voiture nationale arménienne que nous adopterions volontiers. Après à peine 10 km, le chauffeur nous désigne les montagnes en face de nous, c’est l’Iran. La route se poursuit encore un peu le long de la frontière. Une ligne de barbelés, une rivière rouge no man’s land, une autre ligne de barbelés et de l’autre côté l’Iran. Nous sommes dans un long couloir coincé au milieu des montagnes qui s’élèvent de part et d’autre. Le taxi nous laisse à la frontière. Nous marchons 500 mètres à pieds, sacs sur le dos. Nous sommes seuls. Passage arménien pour le tampon de sortie puis nous traversons le pont qui enjambe la rivière argileuse. Le moment est intense, l’appareil photo bien fourré au fond du sac.  Phanie et moi sommes un peu tendus, Maolann se fait rabrouer illico lorsqu’il se met à parler de Barack Obama, Jade commence à chouiner pour je ne sais quelle raison, ce qui a le dont d’aggraver un tantinet notre tension interne. Au milieu du pont, il fait chaud, très chaud déjà, Phanie et Louna se voilent puis nous atteignons le côté iranien. Longues vérifications des passeports, questions sur nos métiers, la taille des villes qui nous ont vu naitre…Ensuite un policier nous fait attendre encore une demi-heure pour poser sur nos passeports l’autorisation d’entrée. Une sangle du sac de Phanie se coince dans le tapis roulant où les sacs sont passés au scanner. La sangle sera finalement sacrifiée, l’homme qui vérifie le contenu des sacs sur son écran est très beau et souriant. Nous passons enfin. Après un passage au bureau de change, qui nous laisse des liasses de billets comme si nous avions commis un hold-up, nous reprenons un taxi pour Tabriz. Nous sommes en Iran, grand moment, les montagnes sont arides par endroits mais encore très vertes ailleurs avec des champs de coquelicots. Le chauffeur nous offre du thé tout en conduisant. Petite pause pour se ravitailler. près d'une pompe d'essence. Des camions pleins à ras bord de pastèques et de melons stationnent le long de la route. Tabriz est atteinte 200 kilomètres plus loin, l’hôtel est loin du centre. Nous avons rêvé ce moment et nous nous laissons maintenant confondre par la réalité.

En allant vers la frontière iranienne


Le lendemain nous rejoignons Goris dans le sud en taxi. Nous traversons les montagnes toujours aussi vertes, superbes, parfois enneigées (c’est marrant d’ailleurs de toucher la neige à cette époque et après avoir eu plus de 30 degrés la veille à Erevan). 

Les cigognes sont installées ici avec dans leurs nids des petits dont le nom m’échappe, appelons les des cigarillos. Arrêt à trois reprises pour visiter des monastères, très beau pour le deuxième (Noravank) perdu dans des canyons. Le premier (Khor Virap) se tient aux pieds du mont Ararat, Saint Grégoire après avoir passé 13 ans dans un cachot y aurait posé la première pierre de l’Eglise apostolique d’Arménie. 
Khor Virap
Khor Virap

Noravank

 
Noravank

 



Orages incroyables sur la route avec obscurité brutale et même grêle. Le chauffeur de taxi est d’une patience dingue et nous mène à bon port malgré des routes parfois très détériorées. Pour rejoindre le troisième monastère, que l’on visitera sans beaucoup de lumière car les nuages et la nuit se sont combinés pour ne nous laisser que peu de clarté, il a fallu (après plusieurs heures de route) descendre dans une vallée profonde pour remonter de l’autre côté en prenant une route cahotique. 
 


 


 N’ayant plus d’essence, le taxi est alors entré dans un village et là nous nous sommes sentis propulsés dans un monde inconnu. Les hommes seuls ou par groupes ont tous des têtes de tueurs, la terre des routes est détrempée et glissante, nous croisons un troupeau de moutons noirs qui surgit de nulle part, conduit par de enfants en bottes et en pull boueux. Le chauffeur de taxi tape à différentes portes du hameau, ses mocassins dans la boue, et finit par trouver la station service. Un homme, un œil vitreux, arrive avec un seau en plastique noir et remplit le réservoir avec l’essence de son jardin. Nous quittons l’endroit et je me dis que c’est ici qu’il faudrait un jour passer du temps. Arrivés tard le soir dans une guest house, nous sommes accueillis comme des pachas. L’endroit est joli et chaud. Nous partons manger dans un restaurant en ville et là, truc de dingue. La sale principale est animée, grande fête pour un anniversaire. Nous sommes en retrait mais plusieurs personnes viennent nous tirer par la manche pour nous faire rentrer. Ils sont environ 70 et nous voilà entrainés à danser, à manger et à boire de la vodka. Les gens nous applaudissent, nous planons complètement, Jade s’installe très vite dans la fête, Maolann suit, Phanie et moi aussi (vodka entrecoupée d’un fanta vert pomme ça déménage) et Louna pleure. Le son est trop fort, les gens insistants, c’est trop intense pour la Loulou après une longue journée de route sans déjeuner (il est 21 heures et nous sommes l’indignité parentale). Nous partons discrètement (pas évident) pour aller manger trois pâtes et 2 frites dans une pièce où nous sommes seuls, Jade pleure car nous avons quitté la fête.
Retour à la guest-House et super soirée à boire le vin arménien offert par la maison avec 2 polonais et 2 américains hyper sympas.
Le lendemain nous rejoignons Méghri, en franchissant 2 cols supplémentaires. Nous croisons de plus en plus de camions iraniens dont les fumées noires puepolluent à fond comme celles des camions arméniens. Nous allons passer la nuit à Méghri avant de traverser la frontière iranienne, roulements de tambour.