lundi 6 mai 2013

Voyages en train


On raconte les étapes, les villes-étapes pourtant les tronçons ferrés les reliant sont le corps de ce début de voyage. Un train parti de gare de l’est, gare pour le grand far-est, des couchettes et déjà on est ailleurs. Excitation de faire son lit chacun, dispute pour savoir qui dormira en haut et puis les yeux qui se ferment à demi, bercés par le rythme qui pèse sur les paupières pour finir de les fermer tout à fait à une heure précoce. L’arrivée à la pointe du jour, les cheveux en vrac et la mine défaite, une déambulation au radar dans la gare de Münich à chercher des consignes, à réserver le train du soir pour Vienne, à lire de l’allemand, l’entendre et se laisser bercer à contre-temps au milieu d’un flot de voyageurs qui filent.
Le trajet Budapest-Bucarest dure, s’étire au rythme du cliquetis régulier parfois, cacophonique souvent, de la bête de métal qui hurle continuellement en freinages crissants quelle que soit la vitesse, disons lentesse plutôt. Torpeur métallique bienvenue pour des yeux curieux de tout. Passage de frontière nocturne, accueil toujours aussi romantique de ces uniformes pour un contrôle-passeports (cette chaleur pour vérifier que nous sommes bien nous me touche). Nous sommes en Roumanie, c’est écrit sur le panneau lumineux du quai où le train stationne 3/4 d’heures. Les oiseaux ont envahi cette gare perdue au milieu de nulle part et chantent en tirs croisés. Réveil très matinal la campagne attirant mon regard, le reste de la tribu est engoncé dans la couette molletonnée fournie par la compagnie roumaine de transport ferroviaire. Les villages se succèdent, on les touche presque du doigt, carrioles tirées par des chevaux, tracteurs vieillots, hommes et femmes, fichus sur la tête, donnent le relief  à ces terres cultivées immenses. Plaines étagées dans la brume matinale, une cigogne sur un toit puis une autre dans son nid. Le train est lent On traverse la Transylvanie qui nous invite à une visite de l’intérieur une autre fois, choix de ne l’avoir pas prévu, embryon de frustration. Les Carpates enneigées, les tulipes, les pies roumaines (piaillent elles le roumain ou bien ?), les files de voitures et carrioles aux passages à niveau puis vient Bucarest, il est midi la place de la gare n’est pas jolie les gens non plus (la beauté serait donc bien un luxe pour fortunés).
Enfin, le Bucarest Istanbul, un tortillard de 6 wagons annoncé pour Sofia. On perdra 2 wagons en route qui iront bien vers la capitale bulgare pour finir la route comme un petit train de campagne. Trains grande lenteur, omnibus avec omniarrêts mégalongs, on connaît l’heure d’arrivée alors c’est tout ce qui compte (le train arrivera d’ailleurs à l’heure prévue). A chaque arrê en gare, les hommes au marteau au long manche viennent taper sous le ventre des voitures pour vérifier que ça sonne bien. Rituel renouvelé à chaque arrêt. Notre wagon est vide, nous avons négocié les couchettes avec son responsable turc adorable, chacun la sienne, les 2 plus jeunes enfants ne payent pas sur proposition du chef de voiture. Il faudra pour le coup négocier un peu pour obtenir une 4ème paire de draps et couverture (pour le 5ème tant pis). Nous passons la frontière bulgare en retrouvant le Danube qu’on enjambe sur un vieux pont branlant qui démultiplie la musique contemporaine de l’engin d’acier. Dans chaque gare traversée, souvent désertique, se tient le chef de gare en uniforme, son bâton feu vert-feu rouge à la main, il regarde passer le train au garde à vous s’assurant qu’aucun wagon ne reste en rade. Cigognes bulgares, champs bulgares, tulipes bulgares, immeubles, maisons et usines en ruine autour des gares, églises petites égrainées pour nous rappeler comme en Roumanie (un peu moins visible peut être que là-bas) et comme dans de multiples endroits, l’implantation et le poids ou l’obésité de la religion. Le wagon est vide, grande salle de jeu pour les enfants dans les compartiments couchettes, classes improvisées, avec compartiments CP, CM2 et 4ème. Les chips au goût poulet plastique sont grignotées tranquillement, très tranquillement tellement leur saveur incomparable prend le dessus sur la faim (elles sont pourtant le déjeuner, le dner et le petit déjeuner…). La nuit nous invite à gagner nos couchettes-cabannes, le contrôle des passeports à 2 heures nous prie, tous, de sortir du train à la frontière avec la Turquie. Deux douanières bulgares massives comme notre locomotive nous réveillent un quart d’heure après pour contrôler les passeports en allumant la lumière blanche du compartiment, prolongée par leurs lampes torches aveuglantes pour vérifier que le visage de nos anges endormis correspondent à ceux des photos oreilles dégagées, sourire interdit des passeports. Fin de frontière 20 minutes après par les douaniers turcs qui préfèrent ouvrir quelques sacs pour mieux blanchir encore notre nuit en toits d’usines. La fin du voyage se termine au petit matin dans les faubourgs d’Istanbul la Majestueuse en car dans les bouchons de cette ville envoûtante, carrefour de l’histoire et de la géographie.

Départ de Budapest

Frontière roumaine






Gare de Bucarest

Gare de Bucarest

Homme au marteau

Gare de Bucarest

Gare de Bucarest





Compartiment CP

Une gare en Bulgarie